Le Lobby européen des femmes coorganise une conférence qui met l’abolition de la prostitution à l’agenda politique européen
[Bruxelles, le 7 décembre 2012] Le 4 décembre 2012, le Lobby européen des femmes (LEF) a organisé, en partenariat avec la Fondation Scelles et le Mouvement du Nid France, et avec le soutien des eurodéputé-e-s Mariya Gabriel et Mikael Gustafsson, une conférence européenne intitulée "10 années de politiques sur la prostitution : résultats des options suédoises et néerlandaises et perspectives".
La participation à cette conférence, qui s’est tenue au Parlement Européen à Bruxelles, a été plus forte que ce que les organisatrices imaginaient, avec plus de 250 participants-e-s, y compris une douzaine d’eurodéputé-e-s. Outre l’expertise et les connaissances des conférenciers-ères invité-e-s, la conférence a permis de mettre à l’ordre du jour européen les perspectives et les objectifs des associations de femmes, et a ouvert la voie à un nouveau dialogue structuré entre les décideurEs et les organisations de la société civile.
Quand on en arrive à parler de prostitution, deux perspectives sont souvent débattues : à la fois les valeurs et les opinions sur le sujet, et les approches législatives. Avec cette conférence, le LEF a proposé de comparer les deux principales approches politiques sur la prostitution, principalement les modèles suédois et néerlandais, et a invité les officiels et les associations à discuter les résultats de ce politiques opposées après dix années de mise en œuvre.
Alors que le modèle suédois semble avoir réussi à réduire la prostitution et la traite, en obtenant le soutien du public et en protégeant les personnes touchées par la prostitution, le modèle néerlandais semble avoir échoué à répondre à l’augmentation du crime organisé et à l’aggravation des conditions de vie des personnes prostituées.
La Chancelière de la Justice suédoise, Anna Skarhed, a rappelé les principes qui sous-tendent l’approche suédoise : la prostitution est une forme de violence contre les femmes et un obstacle à l’égalité femmes-hommes. Le système de la prostitution doit est considéré dans son ensemble, la demande étant reconnue comme la cause fondamentale de la prostitution, l’éducation et la sensibilisation comme les leviers principaux d’un changement social, et la protection des personnes prostituées et les programmes vers la sortie de la prostitution comme une priorité.
La chercheuse Machteld Boot-Matthijssen, du bureau de la Rapporteure nationale néerlandaise sur le traite des êtres humains, a expliqué que le raisonnement derrière le modèle néerlandais était de décriminaliser l’exploitation de la prostitution et de réglementer la prostitution comme un métier. Ces mesures ont pour objectif de permettre à l’Etat de mieux contrôler le secteur légal et d’améliorer la lutte contre le trafic des êtres humains. Pourtant, elle a souligné le fait qu’après 10 années, les Pays-Bas ont constaté d’importants cas notoires de traite à des fins d’exploitation sexuelle, montrant qu’une exploitation largement répandue peut aussi avoir lieu dans le secteur de la prostitution légale.
Olga Persson, de l’association suédoise SKR, et Karin Werkman, chercheuse néerlandaise, ont confirmé les tendances observées dans les deux pays : alors qu’en Suède la loi doit être renforcée (en incluant une compensation pour les victimes et en donnant une nature extraterritoriale à la loi suédoise), le modèle néerlandais a normalisé la prostitution et donné de façon inquiétante une voix forte aux acheteurs de services sexuels (clients-prostitueurs) et aux proxénètes.
Une deuxième table ronde a considéré les perspectives actuelles dans les débats politiques et les développements en cours au sujet de la prostitution.
Pour la Belgique, la Vice-Première Ministre et Ministre de l’Intérieur et de l’Egalité, Joëlle Milquet, a présenté la situation législative de son pays, ainsi que les résultats d’une étude récente de la Police fédérale, qui a montré que 23 000 personnes sont touchées par la prostitution en Belgique, dont 80% sont des victimes d’exploitation. 10% ont souffert de très sérieuses formes de violences, 90% ont de sérieux problèmes de santé mentale tels que le syndrome de stress post-traumatique et des pensées suicidaires. Selon Joëlle Milquet, “il n’est pas possible de banaliser la représentation du corps féminin comme un objet sexuel”.
Caroline De Haas, Conseillère au Cabinet de la Ministre française aux droits des femmes, Najat Vallaud Belkacem, a présenté la perspective abolitionniste de la France, basée sur deux principes fondamentaux : la prostitution est incompatible avec l’égalité entre les femmes et les hommes et ne peut être acceptée car elle traite le corps humain comme une marchandise.
Les deux Ministres se sont rencontrées en Septembre dernier à Bruxelles et ont décidé d’organiser une conférence européenne l’année prochaine, considérant l’application par les Etats membres de la Convention de 1949 de l’ONU pour la suppression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui.
Puis, Myria Vassiliadou Coordinatrice de l’Union européenne pour la lutte contre la traite des êtres humains, a donné des chiffres sur la situation de l’exploitation sexuelle dans l’UE, soulignant la nature genrée du phénomène et sa préoccupante augmentation récente dans l’UE.
Après ces deux tables rondes, les associations signataires de l’Appel de Bruxelles, représentée par Pierrette Pape, Chargée de politiques et Coordinatrice de projets du LEF, et Grégoire Théry, Secrétaire général du Mouvement du Nid France, ont dévoilé l’Appel de Bruxelles « Ensemble pour une Europe libérée de la prostitution ». Rosen Hicher, une survivante de la prostitution, a soutenu l’appel et demandé à toutes et tous de comprendre la réalité de la prostitution et le besoin crucial d’aide et d’assistance pour les femmes désireuses de sortir du système prostitueur. Elle a aussi pointé le rôle de la demande : "Il n’y aura plus de survivantes le jour où il n’y aura plus de clients-prostitueurs."
La conférence s’est terminée avec les contributions et les engagements d’europdéputé-e-s, venant de divers pays et des principaux groupes politiques du Parlement européen : Emer Costello (Irlande, S&D), Sophie Auconie (France, PPE), Antonyia Parvanova (Bulgarie, ALDE), Nicole Kiil-Nielsen (France, les Verts), et Inês Zuber (Portugal, GUE) ont exprimé leur soutien à la perspective abolitionniste de la prostitution, soulignant divers aspects du sujet : prévention, valeurs féministes, soutien aux femmes, aborder la demande, s’attaquer aux inégalités envers les femmes, etc.
La Présidente du LEF, Viviane Teitelbaum, a conclu avec les eurodéputé-e-s Mariya Gabriel et Mikael Gustafsson, en rappelant l’importance de cet événement qui lance le débat au niveau européen ; elle a affirmé que le LEF et ses partenaires continueront à travailler à tous les niveaux vers une Europe libérée de la prostitution.
Pour plus d’information, contactez Pierrette Pape, Chargée de politiques et coordinatrice de projets au LEF, pape@womenlobby.org.