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Manifeste - Les droits socio-économiques des femmes et l’égalité femmes-hommes dans une perspective de cycle de vie (mai 2012)

Présenté lors de la conférence annuelle du LEF, Budapest, 11 mai 2012

Nous, membres du Lobby européen des femmes (LEF), affirmons que l’avenir de l’Union européenne et du reste du monde ne sera durable que si les femmes, les hommes, les filles et garçons peuvent contribuer à la société librement et dans l’égalité, indépendamment de leur position dans le « cycle de vie ».

Nous déclarons que le genre a un impact déterminant sur l’intégralité du cycle de vie, de la naissance à la vieillesse, qu’il conditionne l’accès aux ressources et à l’égalité des chances et oriente les stratégies de vie tout au long de l’existence. Sans égalité entre les femmes et les hommes, il ne peut y avoir de bien-être, ni de croissance, ni de prospérité.

Nous déclarons que, face aux défis urgents et nombreux auxquels l’Europe est confrontée, il faut une approche holistique et à long terme des besoins de l’individu aux différents stades de son cycle de vie. Ce n’est qu’à partir d’une perspective de cycle de vie que nous produirons des solutions réellement durables. Le LEF demande donc que l’on considère l’approche du cycle de vie dans une perspective du genre dans toutes les décisions politiques qui forgeront l’avenir de l’Europe. L’approche du cycle de vie montre comment des décisions prises à différentes étapes de la vie influent les unes sur les autres. Une telle approche permet d’identifier les mesures politiques nécessaires à chaque phase de l’existence et aux points de transition de la vie des femmes, en faisant par exemple le lien entre l’écart de salaire et l’écart de retraite entre femmes et hommes, qui désavantagent les femmes qui gagnent moins tout au long de leur vie et donc ont également des retraites inférieures

Nous nous inquiétons du fait que les politiques économiques sont de plus en plus déconnectées de la vie réelle des femmes et des hommes dans l’UE. Nombre de mesures d’austérité actuelles ne sont pas fondées sur des considérations sociétales de long terme mais sur des restrictions budgétaires à court terme imputables à des acteurs privés (notamment les agences de notation). Pour les générations actuelles et futures, ces politiques ne sont ni démocratiques, ni durables.

Nous rappelons que ces solutions non durables aux crises économiques, sociales et démographiques ont un effet négatif, en particulier sur les femmes, comme en témoignent de nombreuses études. Nous sommes indignées par les politiques économiques qui dirigent le monde. Nous dénonçons la course à l’accumulation de richesses, la destruction incessante de la planète, le broyage des êtres humains ainsi que la recherche du bénéfice à tout prix. L’être humain a perdu sa place dans la hiérarchie des valeurs. Il est primordial d’y remédier et de mettre un terme à ce désastre.

Nous nous inquiétons du fait que les droits des femmes et l’égalité entre les femmes et les hommes disparaissent peu à peu de l’agenda politique et nous nous opposons à tout retour en arrière ou perte en termes de libertés, de droits et d’l’égalité des chances rendus possibles par le passé par des femmes et des sociétés respectueuses des femmes. L’UE ne peut pas se le permettre ; les femmes européennes ne l’accepteront pas.

Nous demandons que les droits des femmes et l’égalité entre les femmes et les hommes soient placés au centre de toute politique et qu’ils soient considérés au plus haut niveau de la prise de décision politique . Les inégalités sont coûteuses ; l’égalité entre les femmes et les hommes est un investissement.

Nous rappelons que les femmes représentent plus de la moitié de la population européenne et qu’elles seront de plus en plus majoritaires à mesure que l’Europe vieillira. Au cours des dernières décennies les femmes ont davantage contribué à la croissance économique que les nouvelles technologies ou les marchés émergeants de la Chine et de l’Inde combinés .

Nous demandons un changement dans la perception qu’ont les responsables politiques des femmes qui sont souvent présentées comme « un groupe » et plus particulièrement un groupe « vulnérable » ou une minorité « discriminée ». Les femmes sont majoritaires au sein de nombreux « groupes minoritaires » (personnes âgées ou handicapées etc.). L’égalité des droits et de participation dans tous les domaines de la vie doivent être assurées pour toutes les femmes indépendamment de leur âge, de leurs circonstances particulières, de leur origine.

Nous déclarons que l’indépendance économique des femmes tout au long de leur cycle de vie est un élément essentiel pour assurer l’égalité femmes-hommes. L’indépendance des femmes et leur pleine contribution à la société ne peut être atteinte que si les femmes et les hommes travaillent ensemble pour assurer le partage égal du travail rémunéré, des tâches domestiques, de la responsabilité de la prise en charge des enfants et des personnes dépendantes, du pouvoir, des avantages et des libertés, et ce tout au long de leur cycle de vie.

C’est pourquoi le Lobby européen des femmes formule les recommandations suivantes :

Les responsables politiques doivent consulter les femmes de tous les âges et de toutes les origines ainsi que les organisations qui les représentent pour la conception, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques et mesures ayant pour objectif leur indépendance économique, et leur participation active à tous les domaines de la vie sur un même pied que les hommes et dans toutes les étapes de leur cycle de vie.

Politiques économiques et sociales

Intégrer l’égalité entre les femmes et les hommes dans la Stratégie 2020 de l’UE, dans les objectifs qui visent une croissance intelligente, durable et intégrante en mettant l’accent sur : une vie dans la dignité et sans violence pour tous et toutes, un accès égal et de qualité à l’éducation, des salaires égaux, un revenu décent. Ceci doit transparaître dans tous les processus liés à la Stratégie 2020 de l’UE : les analyses annuelles de la croissance, les programmes de réformes nationaux, les programmes nationaux de stabilité et de convergence, les recommandations spécifiques aux pays, le rapport conjoint sur l’emploi et le rapport conjoint sur la protection sociale et l’inclusion sociale.

Adopter des législations contraignantes pour la représentation égale des femmes et des hommes dans la prise de décision, y compris dans les conseils d’administration des entreprises, comme l’a proposé Viviane Reding, vice-présidente de la Commission européenne. Prendre des mesures pour la représentation égale des femmes et des hommes au Parlement européen pour les élections de 2014 et pou la nomination de la nouvelle Commission européenne en 2014, et garantir ultérieurement une attribution égale des postes de haut niveau de l’UE. Conformément aux engagements pris en faveur des droits démocratiques et fondamentaux dans les traités de l’UE, la parité dans la prise de décision dans tous les secteurs et à tous les niveaux, est une question de représentation démocratique et de progrès social, tant au niveau européen que national dans laquelle il faut également tenir de critères d’âge, d’origine sociale et ethnique,

Appliquer des modèles économiques alternatifs qui soient durables pour les populations et pour la planète. Ces modèles devraient intégrer de nouvelles façons d’évaluer l’économie des soins aux personnes (care economy) dont l’apport a jusqu’à présent été dédaigné dans la prise de décision économique. Le travail de soin, rémunéré ou non, formel ou informel, doit être réévalué. Au niveau politique, il faut que les soins deviennent prioritaires et que des investissements dans le secteur des soins soient mis en œuvre, afin que ce secteur soit reconnu pour son apport primordial à la société toute entière. Dans le domaine économique, il est indispensable de mettre l’accent sur le secteur des soins aux personnes, parce que les femmes et les hommes, tout en élevant les générations futures, ne peuvent contribuer à part égale à la société que s’il existe des infrastructures de soins adéquates. Les besoins en soins des personnes âgées et des personnes dépendantes augmentent aussi avec le vieillissement de la population. Les milieux politiques et économiques doivent donc considérer les soins comme étant une responsabilité sociale commune.

Les soins aux personnes et les politiques d’emploi

Mettre le secteur des soins sur le même pied que les autres secteurs créateurs de croissance et d’emploi de l’économie – à savoir l’économie verte et les technologies de l’information et des communications (TIC) – dans la Stratégie 2020 de l’UE. Ces secteurs doivent permettre la mise place d’un marché du travail qui inclue aussi bien les femmes que les hommes.

Garantir la rémunération complète des congés de maternité, paternité, des congés parentaux, des interruptions de carrière et des congés de formation, pour les femmes et pour les hommes, pour éviter les sanctions économiques plus tard dans la vie – par exemple des retraites insuffisantes dues aux responsabilités de soins. Les gouvernements doivent avancer dans les négociations avec le Parlement européen au sujet de la révision de la directive sur le congé de maternité. Ils doivent garantir une rémunération totale du congé de maternité et de paternité pour toute leur durée et la protection complète des femmes qui reprennent le travail après une naissance. Enfin, la question du salaire versé durant le congé de maternité ne peut être dissociée de la question de l’écart des salaires entre femmes et hommes. Le congé de maternité doit être mis en avant politiquement comme solution pour éliminer le différentiel de salaire entre les femmes et les hommes au cours de leur vie.

Garantir la pleine participation des femmes quel que soit leur niveau d’éducation, au marché du travail, avec une attention particulière portée sur les jeunes femmes. Les femmes en âge de procréer sont toujours considérées comme étant « à risque » du fait de la possibilité de grossesses, et ceci amène
une discrimination directe envers les femmes dans leur accès ou leur maintien sur le marché du travail.

Garantir l’accès des femmes, quel que soit leur niveau d’éducation, à la formation tout au long de la vie pour leur permettre d’acquérir de nouvelles compétences et ainsi s’adapter soit à de nouvelles conditions de travail soit à d’éventuelles réorientations de carrières professionnelles.

Garantir des emplois de qualité pour les femmes de tout âge, surtout pour celles qui ont plus de 50 ans, en valorisant leur contribution au marché de travail.

Garantir que l’égalité entre femmes et hommes soit favorisée dans la mise en place des stratégies de flexicurité qui redéfinissent actuellement le marché du travail. Le concept de « sécurité » peut signifier des choses différentes pour les femmes et les hommes en général et varier en fonction des différentes étapes de leur vie : la sécurité comme une condition essentielle du libre choix, la sécurité de ne pas subir de discrimination, la sécurité de trouver un emploi de qualité, la sécurité de savoir que l’on prend soin des dépendants, la sécurité que l’on prenne soin de vous, la sécurité de recevoir un salaire égal, une pension de retraite et un revenu net de même valeur, la sécurité d’un revenu décent et suffisant lorsque l’on n’est pas sur le marché de l’emploi. Sur la question de l’égalité des genres, il faut définir les objectifs concrets de la flexicurité comme par exemple réaliser et renforcer les objectifs de Barcelone relatifs aux structures d’accueil des enfants et dépasser les objectifs de Barcelone dans la provision, la qualité, le coût et l’accès aux services de soins, ainsi que garantir des soins de qualité pour les personnes âgées.

Salaires et retraites

Nous déclarons que les écarts de salaire et de retraites entre femmes et hommes sont les deux revers d’une même médaille. L’écart entre les retraites des femmes et des hommes reflète les inégalités accumulées tout au long de la vie des femmes, inégalités qui aggravent leur risque de pauvreté et leur exclusion sociale à mesure qu’elles vieillissent.

Nous demandons une « tolérance zéro » concernant les écarts de salaires liés au sexe et demandons des mesures urgentes pour mettre un terme à ce qui maintient le revenu des femmes à un niveau inférieur à celui des hommes, et ce tout au long de leur vie. Nous demandons entre autres une cible européenne contraignante pour réduire l’écart des salaires d’un minimum de 5 % par an dans chaque Etat membre. Ceci implique notamment de mettre en valeur la rémunération et les conditions de travail des femmes et de renforcer leur pouvoir de négociation dans les secteurs de l’économie où elles sont majoritaires (principalement les soins aux personnes, la santé, l’éducation, les services de détail, les services publics et sociaux) ; de combattre le degré élevé de ségrégation en raison du genre sur le marché du travail, notamment dans le secteur vert et le secteur des TIC, et de rendre le secteur des soins attractif pour les hommes ; et enfin de garantir la transparence dans la composition des salaires.

Nous demandons un indicateur européen de l’écart des retraites entre femmes et hommes, comme moyen d’analyser et de prendre en compte l’impact sur les femmes des réformes des régimes de retraite qui sont en cours dans la plupart des États membres de l’UE.

Sécurité sociale et politiques fiscales

Nous déplorons le fait que les femmes soient toujours considérées dans les régimes fiscaux et de sécurité sociale comme des « personnes dépendantes » ou comme des « revenus de complément » aux ménages et demandons que ces concepts soient abandonnés dans les documents politiques.

Garantir l’individualisation des droits à la sécurité sociale et aux régimes fiscaux pour équilibrer l’égalité dans ces domaines.

Établir comme une priorité macro-économique l’élimination de l’écart salarial. Ceci aurait un impact positif sur les régimes de sécurité sociale car l’augmentation des revenus des femmes augmenterait leurs parts contribuables aux systèmes de sécurité sociale et l’impôt de personnes physiques, tout en réduisant par ailleurs leur dépendance aux allocations sociales pour compenser l’insuffisance du revenu salarial.

Redéfinir des concepts dépassés liés à la composition des ménages et aux modèles familiaux, disposer de données ventilées selon le sexe et de mesures qui combattent la féminisation de la pauvreté tout au long du cycle de vie. Dans les sociétés européennes, le modèle de la famille nucléaire et le modèle de l’homme chef de famille sont de moins en moins dominants. La transformation de ces modèles nécessite une redéfinition du statut des femmes au sein de la famille et de nouvelles façons de définir la sécurité sociale et la fiscalité. Cette redéfinition aurait des implications non négligeables sur la manière de mesurer la pauvreté : par exemple il y a un risque accru de pauvreté chez les « parents isolés » et chez les « cohabitant(e)s », or les femmes constituent la majorité de ces deux groupes. Afin de rendre visible la féminisation des concepts d’usage courant, il est primordial de disposer de données ventilées selon le genre.

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