Prostitution : un fléau à combattre
Publié dans Le Quotidien, 9 novembre 2012
En attendant d’avoir un état des lieux complet et précis de la prostitution au Luxembourg, des parlementaires français, Danielle Bousquet et Guy Geoffroy, livrent le leur. Parallèles.
De notre journaliste
Geneviève Montaigu
La traite des êtres humains et la prostitution sont quasiment les mêmes réalités aujourd’hui. La mission parlementaire française qui a travaillé sur le sujet a répondu à l’invitation du Conseil national des femmes du Luxembourg (CNFL) pour venir présenter cette conclusion implacable. Et plaider pour une politique abolitionniste.
Les rapporteurs de la mission parlementaire française sillonnent l’Europe pour présenter les résultats de leur travail et plaider pour l’abolition de la prostitution. Deux députés français ont réalisé au cours de l’année 2011 une étude sur l’état de la prostitution en France. Un travail basé sur un paquet de documents : «Nous avons auditionné plus de 200 personnes dont une quinzaine de prostituées ou d’anciennes prostituées. Nous avons rencontré tous les acteurs du secteur, aussi bien des associations de prostituées que des associations d’aide aux prostituées. Nous avons entendu des médecins, des psychiatres, des infirmiers, des policiers, des sociologues, bref, toutes les personnes qui ont à connaître de la prostitution», explique la socialiste Danielle Bousquet.
Ils affirment ne pas être partis d’un a priori : «Nous ne voulions pas faire un travail qui allait prouver ce que l’on avait envisagé au départ. Nous n’avions pas de thèse préalablement établie sachant quand même que la France est un pays abolitionniste qui a ratifié la convention des Nations unies de 1949», poursuit-elle. C’est dire qu’un jour la France veut voir disparaître la prostitution.
La mission parlementaire a beaucoup voyagé en France et a rencontré de nombreuses associations et des élus en Belgique, aux Pays-Bas, en Espagne et en Suède pour compléter son travail. «Nous sommes allés dans des bordels, nous sommes rentrés dans les chambres, nous avons discuté avec les prostituées dans des bars. En Espagne, je n’ai pas pu rentrer dans les bordels de la Junquera car notre enquête ne les intéressait pas et seules sont bienvenues les prostituées. Donc, c’est mon collègue qui peut vous en parler, car lui a pu y entrer», précise sans rire Danielle Bousquet.
Ensorcelées ou rejetées
Dans ces bordels de la Junquera, ils ont vu des gamines qui sortaient d’une voiture avec une couette sous le bras, car elles allaient dormir sur place. «Elles ne sont jamais espagnoles quand elles sont en Espagne ni françaises quand elles sont en France. Elles viennent toutes des mêmes pays d’Europe de l’Est et des pays de l’Afrique francophone pour ce qui est de la France», a pu constater Danielle Bousquet.
Ces jeunes femmes arrivent à destination pensant qu’elles vont être serveuses ou danseuses. Selon les deux députés français, très peu savent qu’elles devront se prostituer et quand elles l’apprennent, «elles n’imaginent pas qu’elles vont faire de l’abattage», raconte Danielle Bousquet. Elles ont payé le traditionnel droit de passage et elles se prostituent pour le rembourser. Sans jamais vraiment y parvenir, selon les parlementaires, car le tarif augmente au fur et à mesure.
«Les personnes qui viennent d’Afrique, en plus de s’être acquittées d’un droit de passage, sont tenues par des rites vaudou. Elles sont en quelque sorte ensorcelées et elles s’imaginent qu’en rompant le pacte vaudou, le mal va s’abattre sur elles et leurs familles. D’ailleurs, des menaces réelles sont exercées sur leurs familles», assure Danielle Bousquet.
Parmi les personnes qui ne sont pas victimes de la traite des êtres humains, il y a beaucoup de mineurs en rupture familiale, en particulier les jeunes garçons homosexuels qui se voient mettre à la porte par des parents intraitables. Ils sont jeunes, ils sont en grande difficulté et pour survivre ils sont conduits à devoir se prostituer.
La précarité économique est une autre raison de se prostituer hors réseau criminel. Des jeunes en situation de grande pauvreté et de vulnérabilité psychologique, des jeunes victimes eux-mêmes de violences dans leur enfance. Certaines personnes se prostituent aussi par amour.
«Une chose est certaine, quand la personne n’est pas victime de la traite des êtres humains, elle entre très jeune dans la prostitution. Nous avons vu la détresse absolue au cours de notre enquête», conclut Danielle Bousquet au terme de son exposé illustré par ses rencontres sur le terrain.
Tarir la demande: l’arme absolue
La solution est de responsabiliser le client, lui faire comprendre qu’en allant chez une personne prostituée, il contribue à la traite des êtres humains, selon le député français Guy Geoffroy.
Guy Geoffroy, député UMP, corapporteur de la mission parlementaire, démontre à son auditoire que la lutte contre le trafic des êtres humains passe par l’abolition de la prostitution. La légalisation a provoqué dans les pays qui la pratique un appel d’air inacceptable pour les organisations criminelles.
La prostitution est une violence parmi celles qui sont exercées à l’encontre de l’autre, la plupart du temps à l’encontre des femmes», entame Guy Geoffroy qui s’efforcera de centrer le débat sur le grand principe qui a guidé l’action de la mission parlementaire. Une idée fondée sur l’égalité des sexes, sur la lutte contre toutes les violences et sur ce principe fondamental que le corps humain n’est pas un bien marchand, mais qu’il a «une valeur intrinsèque totalement inaliénable faisant en sorte qu’à aucun moment, il ne peut être considéré comme étant susceptible de devenir l’objet d’un commerce quelconque», expose le député. Ce principe est déjà inscrit dans le code civil. Il est aussi la ligne directrice des réflexions des deux députés.
Partant de là, il énumère les trois pistes pour l’avenir. La première étant celle de la cohérence : «On ne peut pas avoir ratifié la convention des Nations unies il y a maintenant plus de 60 ans, être parmi les pays européens qui ont été le fer de lance de la lutte contre la traite des êtres humains, et accepter que la traduction majoritaire de cette traite, c’est-à-dire la prostitution, puisse se dérouler comme si de rien n’était en se trouvant toutes les bonnes raisons de dire qu’on ne pourra de toute façon jamais endiguer le phénomène.» L’idée est donc d’aller jusqu’au bout de l’idéal abolitionniste pour que la société extirpe de son fonctionnement l’existence de la prostitution.
Guy Geoffroy veut enseigner que la prostitution n’est pas ce plus vieux métier du monde, réputé obligatoire et parfois salutaire pour une société. C’est au contraire, dit-il, «une activité de domination et d’atteinte à la dignité du corps humain».
Le premier levier qu’il propose est donc celui de la lutte contre les réseaux. Des femmes et des hommes sont victimes de la situation dans laquelle ils se trouvent et il faut essayer de les protéger, de faire en sorte qu’ils ne rentrent pas dans la prostitution, surtout les jeunes. Et ensuite favoriser la sortie de la prostitution et l’accompagnement.
Pas de nouveaux coupables
Il faut surtout s’attaquer à la demande. «S’il n’y a pas de client de la prostitution alors il n’y a pas de prostitution. Responsabiliser les clients sur ce à quoi ils contribuent, c’est essentiel. Il y a des outils qu’il ne faut pas hésiter à mettre en place comme la loi pénale qui pourrait sanctionner les clients qui ne veulent pas accepter le message», précise Guy Geoffroy.
En Suède, où le client est puni, il n’y a jamais eu aucune peine de prison prononcée depuis plus de dix ans que la loi a été votée. «Notre objectif n’est pas de considérer les clients comme des criminels qu’il faut punir à tout prix. On ne veut pas en faire de nouveaux coupables. Ces clients doivent savoir ce qu’ils font et à quoi ils participent lorsqu’ils vont vers une personne prostituée», martèle le député.
La lutte est incessante et si on ne peut pas mettre en place une stratégie de protection de la victime, on ne pourra jamais contrer la traite des êtres humains, voilà le constat de l’enquête des députés français. Un réseau, s’il n’a plus de clients, ne va pas investir dans des moyens pour amener les personnes à se livrer à la prostitution.
«Il est quand même assez surprenant de voir que la France, qui est abolitionniste mais qui ne prohibe pas, a un nombre de prostituées par habitant qui est 10 fois inférieur à l’Espagne ou à l’Allemagne! Y a-t-il 10 fois plus de besoins sexuels à assouvir en Espagne ou 20 fois plus en ce qui concerne l’Allemagne?», questionne le député.
Non, mais la légalisation de la prostitution crée un appel d’air on ne peut plus favorable aux réseaux criminels. «On va gagner un maximum d’argent avec zéro risque puisque c’est légal. Plus on met de femmes sur le trottoir, plus on gagne d’argent», rapporte à ce propos Danielle Bousquet.
La police suédoise a procédé à des écoutes téléphoniques après l’entrée en vigueur de la loi qui ont révélé que les têtes de réseaux se disaient qu’il n’était plus nécessaire d’aller à tel endroit en Suède, car il n’y avait plus aucun intérêt à y aller, sauf à vouloir y trouver des ennuis.
«L’arme absolue, c’est tarir la demande, sinon on trouvera toujours des gens suffisamment malins pour organiser un réseau de prostitution», conclut Guy Geoffroy.