Journée-débat prostitution décevante au Festival du film de Douarnenez
Par Françoise Morvan, membre française au Conseil d’Administration du Lobby européen des femmes
[Bruxelles, le 22 août 2012] Dans le cadre du Festival du film de Douarnenez, une rencontre-débat « Prostitution, parlons-en » était organisée par le Planning familial du Finistère, la Délégation régionale aux droits des femmes et la Direction départementale du Finistère de la Cohésion sociale, le lundi 20 août 2012.
En tant que membre française du Conseil d’Administration du Lobby européen des femmes (LEF), j’étais invitée pour y présenter la campagne du LEF « Ensemble pour une Europe libérée de la prostitution ». J’ai d’emblée proposé que nos documentaires et clips soient visionnés.
’Not for sale’ a introduit la première partie de cette journée d’échanges qui alternait projections de films courts et lectures de textes.
Après un déjeuner à la crêperie Tudal (Douarnenez en Bretagne oblige !!), le programme de l’après midi s’est enrayé suite à l’arrivée intempestive de militants et militantes d’Act Up, de groupes LGTBQI (lesbiennes, gays, bisexuels, transsexuels, queer, intersexués) et autres associations de lutte contre le sida. Ils/elles ont manifesté leur mécontentement de n’être pas invité-e-s à intervenir : « Vous parlez encore une fois à notre place » taxant au passage les abolitionnistes de « moralistes cathos à la botte de l’Etat et de la police » favorisant la propagation du VIH-SIDA. Il faudrait leur rappeler que c’est grâce au travail de terrain et de plaidoyer des associations que le gouvernement français a repris les recommandations abolitionnistes, et non l’inverse.
La Présidente du Festival ébranlée, la déléguée départementale aux droits des femmes a tenté de calmer le jeu en bouleversant le programme de la table ronde et en cédant à la pression d’Act Up de changer la disposition de la salle. Lorsque les participant-e-s furent « assis-es en rond », un débat débridé et critique sur l’abolitionnisme et le féminisme s’est engagé. La pénalisation du client a particulièrement était remise en cause comme facteur aggravant d’une détérioration de la situation sanitaire des prostitué-e-s et d’une clandestinité accrue. « La pénalisation du client, c’est le renforcement du proxénétisme policier », selon les militant-e-s LGBTQI. On ne voit pas bien le lien entre proxénétisme et pénalisation du client dans cette affirmation, si ce n’est en reprenant les propos des policiers suédois, qui ont constaté que les proxénètes ont besoin des clients pour exister…
La violence des propos tenus et leur côté caricatural ont mis mal à l’aise les animatrices et laissé le public plutôt pantois. Puis la salle s’est progressivement vidée, les militant-e-s LGBTQI ne restant pas pour écouter les interventions prévues. En outre, il est très dommage que les organisatrices, et en particulier la Déléguée aux Droits des Femmes, n’aient pas rappelé les récentes évolutions législatives en France et en Europe ainsi que les valeurs universelles portées par le mouvement féministe et abolitionniste, malgré les récentes déclarations de la Ministre Vallaud-Belkacem.
Comme à l’accoutumée, les militant-e-s pro-prostitution, conforté-e-s par la programmation relativiste du Festival, ont massacré un débat particulièrement rare dans cette région de Bretagne. La preuve étant que la presse régionale a reporté principalement l’incident de début de journée, et a peu parlé du reste de la journée.
Parallèlement, l’opportunité temporelle de la rencontre n’a pas été suffisamment posée. Lors de mon intervention, j’ai rappelé que l’abolitionnisme est le cadre légal qui régit la prostitution en France et que 2011 a été une année capitale pour notre société dans sa perception du système prostitueur, lorsque la prostitution a été déclarée comme une des violences graves subies par les femmes dans le cadre de la Grande Cause Nationale en 2010.
Un rapport parlementaire avec 21 propositions a permis une résolution parlementaire votée à l’unanimité le 6 décembre 2011. Le 29 novembre 2011, 45 associations du monde abolitionniste et féministe se sont alliées pour lancer un appel « Abolition 2012 » en faveur de l’adoption d’une loi d’abolition du système prostitueur prévoyant en autres la pénalisation du client. Cette dernière est restée au stade de l’hypothèse à Douarnenez ! Dommage !
Seule une force politique d’envergure permettra qu’une proposition de loi soit déposée et votée par notre parlement national.
L’évolution législative de la France est pourtant attendue en Europe où les réglementaristes regrettent leur politique tant elle a renforcé les réseaux mafieux et la délinquance à l’intérieur de leur territoire national. Le LEF se mobilise pour obtenir que le Parlement européen reconnaisse lui aussi en 2013 la prostitution comme une violence faite aux femmes. La perspective féministe d’égalité entre les femmes et les hommes permet un nouveau contrat social et une déconstruction de l’ordre patriarcal. Elle ne va pas à l’encontre ni des libertés individuelles ni de la santé publique comme nous l’avons trop entendu sous le ciel ensoleillé de Douarnenez le 20 août 2012.