At the national level

Journée de réflexion du LEF sur la prostitution (1er décembre 2011, Bruxelles) : des pistes d’actions concrètes pour la Belgique ?

Le 1er décembre 2011, le LEF a organisé à Bruxelles une journée de réflexion sur le thème ‘Violences envers les femmes et prostitution : quelles politiques publiques ?’. Cet événement s’est tenu la veille de la date anniversaire de la Convention des Nations Unies de 1949 Convention la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui.
Cette convention, ratifiée par la Belgique, stipule que ‘la prostitution et le mal qui l’accompagne, à savoir la traite des êtres humains en vue de la prostitution, sont incompatibles avec la dignité et la valeur de la personne humaine’. Alors que de nombreux débats ont lieu en Belgique sur la question des eros-centers, le LEF a voulu contribuer à ces discussions et aux travaux en cours dans plusieurs associations de femmes.

La journée de réflexion a permis d’entendre des analyses sectorielles de la question de la prostitution, à partir des secteurs de la santé, du travail social et de la justice. Ensuite, des intervenantes venant de plusieurs pays d’Europe ont présenté les politiques publiques et les développements politiques récents visant le système prostitueur dans leur pays : une manière concrète de comparer les choix politiques des pays voisins de la Belgique et de discuter les résultats des législations présentées. Une table-ronde de personnalités politiques belges a permis de faire le point sur la situation en Belgique : Céline Frémault et Isabelle Durant ont présenté leur position et/ou celle de leur parti, et discuté des défis en cours ainsi que des solutions possibles. Enfin, la journée s’est terminée par la projection du film d’Eve Lamont, L’imposture, qui recueille les témoignages de femmes dans la prostitution ou survivantes au Québec.

Vous trouverez ci-dessous un résumé plus détaillé de la journée de réflexion, ainsi que les interventions des invitées. Cliquez ici pour lire le programme et les biographies des intervenantes, en français et en néerlandais.

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La journée de réflexion a pu être organisée grâce au soutien de l’IEFH et de la Commission européenne, et au partenariat avec nos membres belges : le CFFB et le NVR, l’association Elles tournent pour la projection du film, la librairie Entre-temps de l’asbl Barricade de Liège, le CCLJ qui a accueilli l’événement.

Séminaire - Analyses sectorielles de la prostitution : médecine, justice, travail social

Judith Trinquart est médecin et secrétaire générale de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie ; elle a présenté son analyse de la prostitution en tant que médecin et les impacts sur la santé des femmes du système prostitueur. Sa présentation PPT décrit les différents effets néfastes sur la santé que vivent les personnes en situation de prostitution : décorporalisation, violences sexuelles, violences physiques et psychologiques, syndrôme post-traumatisme de stress, etc. Elle a aussi évoqué l’isolement que vivent les personnes en situation de prostitution et fait des propositions concrètes pour restaurer leur parole et soigner leurs séquelles. Selon elle, la prostitution s’inscrit dans le continuum des violences faites aux femmes, et il est crucial de qualifier cette violence et de reconnaître qu’il y a un/des auteur/s de ces violences, à la fois au travers des agresseurs individuels, mais aussi au travers du système qui tolère l’exploitation et les violences faites aux femmes.

Michèle Hirsch a présenté son analyse de la prostitution d’un point de vue juridique. Avocate, elle a rappelé le contexte légal belge, en particulier en droit pénal, et a attiré l’attention du public sur les incohérences dans la politique belge de lutte contre le proxénétisme. Elle souhaiterait voir des notions pénales plus claires et une attention particulière aux violences dans la prostitution.

Rhéa Jean est docteure en philosophie et militante de la CLES (Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle ; Québec) ; elle a étudié l’approche de réduction des méfaits, approche répandue en travail social, au regard de son application pour le domaine de la prostitution. Elle démontre que cette approche n’est pas appropriée pour la prostitution car celle-ci ne peut pas être associée à un problème de dépendance : il ne s’agit pas de lutter contre des problèmes liés à la prostitution, mais d’appréhender le système dans son entièreté. En donnant l’exemple du Sonagachi Project, en Inde, elle a démontré que l’approche de réduction des méfaits tend plutôt à soutenir le système prostitueur et évite de considérer le continuum de violences vécues par les femmes en situation de prostitution. Sa présentation PPT s’est terminée par une comparaison pertinente : se pose-t-on la question d’améliorer les conditions d’exercice de la violence conjugale sans remettre en cause la tolérance pour cette violence ? Les modèles d’intervention doivent aller plus loin et remettre en cause l’institution de la prostitution et les inégalités femmes-hommes.

Lors des échanges avec la salle, Judith Trinquart a illustré par des exemples frappants pourquoi il est important de considérer le système prostitueur comme une forme de violence faite aux femmes. Récemment, de nombreuses femmes prostituées ayant porté plainte pour viol ont vu leur cas rejeté ou annulé dès que le parquet a découvert que le viol avait lieu dans une situation de prostitution, arguant qu’il ne peut alors s’agir d’un viol, mais de ‘différents commerciaux’. Sur une question concernant la terminologie ‘travailleur/se du sexe’, Rhéa Jean a incité les participant-e-s à qualifier la prostitution de violence, afin de déconstruire ce vocable : ‘tout comme on le fait pour le harcèlement sexuel au travail, il faut séparer sexe et travail’, a-t-elle conclu.

Séminaire – Politiques publiques de la prostitution : exemples de pays voisins

Anik Raskin, Chargée de Direction du Conseil National des Femmes du Luxembourg (CNFL), a d’abord présenté la situation au Luxembourg, d’abord d’un point de vue légal et réglementaire, et ensuite d’un point de vue politique, en présentant les positions du gouvernement, des partis politiques, du monde associatif, ainsi que la situation des personnes prostituées. Sa présentation PPT montre que le Luxembourg a ratifié la Convention des Nations Unies de 1949, mais que les règlements de police vont à l’encontre de cette approche abolitionniste. Le Luxembourg a mené une campagne de sensibilisation forte en 2009, en liant clairement prostitution et traite des êtres humains. Si plusieurs politiques avaient proposé une loi sur le modèle suédois en 2008, il n’y a pour l’instant pas de récentes avancées sur ce sujet. Le CNFL est l’une des rares associations à avoir pris position sur la prostitution, par une résolution de 2008.

Karin Werkman est chercheuse à La Haye et a présenté la situation aux Pays-Bas concernant la prostitution. Elle a commencé son intervention en rappelant la loi de 2000 qui a levé l’interdiction des maisons closes et du proxénétisme, sur la base d’une distinction entre prostitution libre et prostitution forcée. Plusieurs rapports et évaluations de la loi sont parus depuis, qui ne réussissent pas à démontrer que l’approche réglementariste a régulé la prostitution et permis de lutter contre la traite des femmes.

Gunilla Ekberg est une avocate et experte sur les questions de traite et d’égalité ; elle a présenté les fondements de la politique suédoise en matière de prostitution, basée sur une vision féministe, et établi en 1998 au travers d’une loi protégeant les personnes prostituées et pénalisant l’achat de tout service sexuel. Dix ans plus tard, l’analyse de la loi montre que le modèle suédois a fait ses preuves, en réduisant la prostitution de rue, obtenant le soutien de la population, et pénalisant des personnalités politiques suédoises ‘clients’ de prostitution. Pour elle, la lutte contre la prostitution est la pierre angulaire du comabt pour l’égalité femmes-hommes.

Geneviève Duché, présidente de l’Amicale du Nid, a présenté la situation politique française et les développements récents qui poussent la France à réaffirmer sa posture abolitionniste. Dans sa présentation PPT, elle a rappelé le texte de la Convention de 1949, ainsi que les actions entreprises en France envers le proxénétisme. Elle a mentionné les menaces qui visent l’abolitionnisme, comme les propositions d’assistanat sexuel pour les personnes handicapées. 37 associations (dont le LEF !) se sont réunies à Paris le 29 novembre pour former une Convention abolitionniste et porter l’appel Abolition 2012 auprès des politiques, sur la base des 30 propositions du rapport de l’Assemblée Nationale sur la prostitution. Pour Geneviève Duché, le consentement à la violence ne justifie pas la violence, et le système prostitueur doit donc être aboli afin de mettre fins aux violences faites aux femmes.

Table-ronde de personnalités politiques

Deux personnalités politiques belges ont répondu à notre invitation et ont accepté de présenter leur position et discuter de la situation en Belgique concernant la prostitution. Isabelle Durant, Vice-présidente du Parlement européen, a expliqué que le thème est peu débattu au niveau européen, et qu’il est souvent abordé d’un point de vue urbanistique au niveau local. Céline Frémault, Présidente du groupe cdH au Parlement bruxellois, a expliqué comment son parti a pris une position claire en mai 2011, sur la base de principes forts : le corps n’est pas une marchandise, la prostitution est une violence de genre et témoigne des inégalités femmes-hommes. La discussion avec le public a mis en avant la nécessité d’une éducation à la sexualité respectueuse et égalitaire, et l’importance d’une approche féministe de la question.

Ciné-débat

Le soir même, le LEF et l’association Elles tournent proposaient une soirée cinéma, avec la projection du film L’imposture, d’Eve Lamont (voir la bande-annonce) : « La tendance actuelle à faire de la prostitution un métier « comme un autre » est démentie par des femmes qui se sont prostituées. Avec lucidité et courage, elles dévoilent la face cachée de ce prétendu « travail du sexe » qui ne relève pas d’un choix éclairé procurant richesse, plaisir et liberté. » Avant la projection, le public a pu aussi découvrir les clips du Monde selon les Femmes, Stop Prostitution, réalisés lors d’ateliers avec de jeunes hommes en Argentine et en Belgique, ainsi que le clip de campagne du LEF ‘Changeons de perspective’. Une soirée qui a donc mis l’accent sur tous les acteurs du système prostitutionnel, et en particulier les survivantes et les hommes qui refusent d’être ‘clients-prostitueurs’.

Photo: Danièle Huet.

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